La maladie Senolvag

Publié le par Frédéric MATHIAS


CHAPITRE 2: LA MALADIE SENOLVAG


La mère de Marcel Marmotte avait traversé bien des épreuves dans sa vie, et la mort de son mari Gaston n'avait pas été la moindre. Cependant c'était une femme forte, qu'on ne voyait jamais pleurer en public, et qui, selon de bien mauvaises langues, n'avait plus beaucoup de larmes à verser. Elle avait eu sept enfants, dont l'un était mort né. Tous étaient les fils de Gaston à l'exception du dernier: Mahmoud Marmotte entrait dans sa troisième année et vivait encore avec elle. On ne savait rien du père, et Madame Marmotte ne lâchait jamais un mot sur le sujet. De tous les fils de Gaston, Marcel était celui qui avait témoigné le plus d'affection à son demi-frère. Il l'avait rapidement prit sous son aile, et pratiquement joué le rôle du père absent.
Combien d'heures passées à jouer, à se chamailler, à imaginer! Marcel attendait avec impatience que Mahmoud soit en âge de venir travailler avec lui à la mine. Il se frottait les mains à l'idée de lui détailler longuement le maniement du pic, de l'aider à choisir ses chaussures renforcées et sa lampe Davy, et surtout, surtout, d'embarquer Mahmoud avec lui lors de ses chasses au trésor. Mais ce jour-là, tous les rêves et les plaisirs devaient s'envoler. Quand Bellefourrure avait prononcé le mot "Senolvag", Marcel avait eut l'impression d'avaler un nid de vipères. Ses mains s'étaient refroidies en une seconde.
Les marmottes tombaient trés peu malades, en particulier grâce à leur solide hygiène de vie. Particulièrement équipées contre la grippe, elles s'étaient spécialisées dans la médecine herboriste. Cependant, les problèmes de santé étaient si rares que bien des choses apprises par le passé avaient été oubliées, jusqu'aux placards qui contenaient les grimoires médicaux de jadis. Il n'y avait en outre qu'un seul docteur, M.Marindodouce, et on murmurait que l'âge commençait à légérement altérer ses facultés...
Marcel ouvrit la porte de la tannière maternelle et s'engouffra
à l'intérieur en courant. Il se dirigea immédiatement vers la chambre de Mahmoud et entra. Un frisson parcourut son échine. A la clarté de quelques chandelles, il vit sa mère, presque endormie d'avoir trop veillé, puis, blème et sans connaissance, son frère, soigneusement bordé.
"Ce n'est pas possible..."murmura-t-il.
Il voulut s'approcher mais une main amicale se posa sur son épaule. C'était Marindodouce.
"Ne le touche pas, il est contagieux.
- Docteur! Vous étiez là! articula Marcel d'une voix hachée. Racontez-moi ce qui s'est passé, par pitié! Ce matin, il était en pleine forme! Est-on sûr que c'est la maladie Senolvag? Pourquoi ma mère a-t-elle le droit de le toucher? Quelqu'un d'autre est-il malade en ville? Est-ce que...
- Calme-toi, coupa le docteur. Tu es agité, et cela n'est pas bon pour ton frère, il va le ressentir. Parle à voix basse, et suis-moi."
Madame Marmotte émit un petit gémissement de sommeil, se tassa sur sa chaise, puis sembla s'assoupir pour de bon. Marindodouce ferma la porte doucement et intima à Marcel l'ordre de s'asseoir à la table de la cuisine. Il fit de même tout en bourrant sa pipe. Il craqua une allumette, fit grésiller le tabac brun, se délecta de la première bouffée, puis plongea ses yeux noirs dans ceux de Marcel.
"Mon petit gars, commença-t-il, tu as un peu oublié tes leçons d'école. Tu devrais savoir que cette maladie ne touche que les mâles. Ta mère est donc parfaitement en sécurité. Pour répondre à ta question, oui, je suis sûr que c'est bien Senolvag, et non, personne d'autre n'est malade en ville. Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais les symptômes sont connus de tous les peuples animaux depuis la nuit des temps. Si la maladie progresse, ton frère va se vider de son sang, heure par heure, jusqu'à la dernière goutte, et il mourra.
- Mais... articula Marcel, le menton tremblant. Qu'est-ce que c'est que cette maladie?
- Aaaha, mon p'tit gars, nous sommes de grands ignorants! Senolvag n'est pas une infection, ni un microbe, ni rien... elle est comme un être impalpable qui s'empare de nous, et qui aspire notre fluide.
- Mais... mon frère ne saignait pas!
- D'abord, Mahmoud n'en est qu'aux premières heures. La maladie incube, si j'ose dire: elle ne sera déclarée et vraiment dangereuse que demain. Quand aux symptômes... comment te dire..."
Marindodouce prit la main de Marcel et approcha son visage rond et barbu de celui du jeune homme.
" Nous savons que le sang se vide, mais nous ne savons pas où il va... Tu vois? C'est comme de la vapeur d'eau. Le sang disparait, c'est cela Senolvag. Le fléau absolu, insaisissable, ça ne se soigne pas."
Marcel ouvrit des yeux ronds.
"Qu'est-ce que vous essayez de me dire? Que mon frère va y rester?
- Je viens de te parler de fléau! gronda le docteur. La seule chose que nous puissions espérer, c'est que la ville y échappe. Un mot, un geste en direction de ton frère et nous aurions un deuxième cas, puis un troisième, et nous pourrions être décimés en sept jours! Sept jours!"
Marcel prit son front entre ses mains. Une larme coula sur sa fourrure. Il nota pourtant que le docteur avait particulièrement appuyé sur le chiffre 7 en lui parlant.
"Pourquoi dites vous sept jours, plutôt que six ou huit? Cette maladie n'est pas un boulier compteur! Vous avez prononcé cela comme une malédiction!
- Ce n'est qu'une façon de parler! s'agita Marindodouce.
- Non, non, reprit Marcel. Je vous connais trop, vous ne savez pas mentir. Regardez-moi: est-ce que la maladie s'est déjà abattue sur notre peuple?"
La porte de la cuisine grinça. Madame Marmotte vint les rejoindre, l'air fatiguée mais pas abattue.
"Marcel, dit-elle, tu manques à tous tes devoirs. Il faut proposer un thé à ce bon docteur qui a passé la journée à ausculter notre Mahmoud!"
Marcel ne sut que dire, se leva et prépara une infusion de camomille: c'était le soir, il valait mieux calmer les nerfs.
"Mon petit, reprit-elle. Toi et moi nous savons ce qui va se passer si nous déplaçons ton frère pour le déménagement. Cette maladie retorse le tuerait au premier choc, et le court voyage vers le camp d'hiver constitue un risque impensable.
- Je comprends, Maman, mais si Mahmoud reste ici, l'hiver se chargera encore mieux que la maladie de lui régler son compte, ainsi que le nôtre.
- Oui. Et je n'ai pas l'intention de laisser mon fils choisir entre Charybde et Scylla. Nous devons le soigner. Je sais qu'il existe un recours."
Le docteur se leva et cala ses lorgnons sur sa truffe: de toute évidence, il savait ce qu'allait dire la mère et était de mèche avec elle. Marcel ne bougea pas, mais écouta avec attention.
"Selon le docteur, si on ne fait rien, Mahmoud sera mort dans quelques jours. Si nous suivons le déménagement, il sera mort avant ça, et nous tous avec. Il va donc rester en quarantaine. Nous seront obligés de descendre au camp d'hiver après tout le monde, seuls.
- A... après tout le monde?
- Je demanderai au maire de nous laisser un gendarme noir pour nous aider lorsque nous descendrons à notre tour. 7 jours, c'est le temps que nous avons, et c'est le temps que tu vas mettre à profit pour sauver ton frère."
Marcel se mit plus ou moins au garde-à-vous. Le docteur reprit la parole.
"Il existe un livre, petit gars. Un grimoire de médecine, perdu quelque part dans notre ville. Nous devons le retrouver, parce que je sais qu'il contient une formule médicinale pour freiner Senolvag.
-C'est vrai? s'exclama Marcel. Mais c'est formidable!
-Attention, petit! Cette formule permet de freiner, pas d'endiguer, et elle ne peut être administrée qu'à un ou deux malades, car le produit qu'on en tire ne peut se faire qu'en quantité restreinte. Ainsi ton frère pourrait... survivre quelques mois.
- Ce n'est qu'une consolation, mais il n'y a pas à hésiter!"
Marcel se dirigea aussitôt vers la sortie.
"Attends, cria le docteur. Tu ne sais même pas où aller! Je t'accompagne!"
Marcel embrassa sa mère en lui recommandant de veiller sur son frère. Alors que le docteur tentait de le suivre en boitillant, Marcel courait vers sa loge de maçon, persuadé qu'il lui faudrait creuser au fond de la mine pour trouver ce fameux grimoire. A force de cris, Marindodouce l'arrêta.
"Je comprends ton agitation, mais bon sang! Ce livre ne peut être qu'à la bibilothèque! Alors oublie ton pic de mineur, c'est juste de patience dont nous avons besoin!
- Mais... hésita Marcel. Pourquoi un livre possédant un si grand secret se trouve-t-il à Fouilleterre?
- Parce que... murmura le docteur. Parce que voici plusieurs siècles, nos ancêtres marmottes ont été décimés par Senolvag, et qu'il y a eut un seul survivant dans cette même ville.
- Décimés... en 7 jours?
- Oui.
- C'était donc cela! Et ce survivant, c'était un médecin?
- Pas tout-à-fait. Un chamane.
- Un chat quoi?
- Tu ne sais pas notre histoire, hein? Tu profiteras de la bibliothèque pour te mettre au fait. Sache que notre peuple, avant de s'oublier dans l'industrie de la mine, était un peuple mystique. Tous nos ancêtres ont eu à voir avec le chamanisme."

Dans la loge de Marcel, un courant d'air s'engouffra, balaya le sol en soulevant la poussière, fit rouler le petit parchemin et le fit disparaître dans un couloir sombre.

A SUIVRE


LA SEMAINE PROCHAINE: le chapitre 3
BRUITS DE COULOIRS






Publié dans Marcel Marmotte

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L
Coucou, eh oui, comme d'hab', tes histoires sont géniales, captivantes et on a hâte de lire la suite... Bravo et Merkii!!
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E
Super intéressant ........et puis j'adore ces dessins aux crayons de couleur
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C
waou!!!!!!!! avec les dessins en plus c'est génial, vite ....la suite .........adorables les marmottes en dessin , adorables , continue!!!!
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