Anatomie

Publié le par Frédéric MATHIAS

 



Etudier l'anatomie humaine est le pilier central. D'une façon générale, il est convenu qu'il s'agit de l'exercice à la fois suprême et indispensable. Je compare souvent cette partie de mon travail à l'apprentissage de la musique. Pour avoir fait du piano, j'en saisis les analogies, et bien sûr ce n'est pas parce qu'on maîtrise ses gammes que l'on peut exécuter Mozart avec aisance. C'est un long voyage, le plus long, le plus subtil, et en perçer les secrets c'est libérer tous les possibles d'un dessinateur, c'est la voie ouverte au sens profond de l'art.

J'ai assez longtemps payé le prix d'être un autodidacte: je suis passé par toutes les erreurs. Mais après plusieurs années je parviens à changer en engrais ces mauvaises herbes. J'ai commencé à saisir la différence quand j'ai systématiquement vu mes erreurs, et j'en fais encore beaucoup. Ce sont plus des fautes de jugement, de précipitation aussi, qu'un manque de connaissance. Et cette connaissance, je la dois à un maître, un maître totalement indirect, que je n'ai jamais rencontré. Il s'agit de Burne Hogarth.

Tout le monde connaît Burne Hogarth (1911-1996). Tout le monde a un jour lu ou aperçu une bande-dessinée de Tarzan, et tous les dessinateurs ont eu vent au moins de celui qu'on surnomma le "Michel-Ange du neuvième art". Son style, en vérité, ne m'a jamais enchanté, malgré ses élans parfois baroques, et M. Hogarth est peut-être resté l'esclave de sa connaissance anatomique, ce qui l'a sans doute privé de céder aux sauvageries dont Frazetta se fit le maître (on connaît la légende: Frazetta aurait apprit l'anatomie en l'espace d'une nuit...). Mais qu'importe, quand on a offert au monde la plus admirable et compréhensible leçon de dessin!

Car Hogarth, dans mes influences reconnues et assumées, n'a que la place du professeur, pas celle de l'inspirateur ni du poète. Techniquement, c'est lui qui m'a fait faire mes "gammes", or je considère que négliger l'aspect technique c'est négliger tout le fondement. Je vous l'ai dit: je ne crois pas à l'énergie pure en art. Si forte soit-elle, elle sera perdue voire néfaste si elle n'est pas solidement dirigée.

Un jour, farfouillant chez un bouquiniste, je suis tombé sur Dynamic Anatomy (1958), Drawing dynamic hands (1977) et, le plus important, Dynamic Figure Drawing (1970). Voilà. Les masses de granit sont là. J'ai lu ou parcouru peut-être une trentaine de livres d'études de nus et d'anatomie, et aucun n'approche le génie technique de Hogarth. La plupart abordent le sujet de façon académique. Il est certes indispensable de connaître cette méthode, mais elle n'a de valeur que si vous devenez peintre d'après nature... Un illustrateur ou un auteur de BD doit dépasser cela, et imaginer sans cesse mille poses sans avoir à recourir à un modèle, qu'il soit vivant ou photographié.

Entendons-nous, je ne rejette pas l'académisme. J'ai même beaucoup appris  en ce qui concerne l'éxecution de silhouettes et du mouvement grâce aux techniques académiques. Mais la différence de méthode est ahurissante dés que l'on approche Hogarth. Il ne l'a pas inventée, soyons honnête, mais il l'a réactualisée. Juste à titre d'exemple, c'est à lui que je dois d'avoir compris que l'élément majeur d'une pose humaine, celui dont tout va partir, c'est le torse. Il faut systématiquement commencer par le torse, noeud central de notre corps dont s'étirent les membres et la tête. Or, les croquis de Michel-Ange, ou ceux de Raphael, ne laissent pas d'ambiguité: les génies de la renaissance partaient de l'ensemble torse-bassin.

La méthode Hogarth est une révolution, et tout le monde n'a pas admit cela. J'ai lu des critiques accusant ses livres d'être outrageusement techniques, ou, au contraire, trop illustratifs. En vérité, j'ai commencé par bêtement recopier les études de ces bouquins sans rien y comprendre. Ce fut évidemment un désastre. Peu à peu, en assimilant le discours du maître, et en comprennant comment les gammes menaient aux accords, j'ai commencé à construire des corps sans modèle. Parfois, on appelle à la rescousse une photo, ou un miroir, mais avec le temps, la main gouverne. Actuellement, je n'ai plus besoin de rien que de concentration pour l'ensemble torse-bassin. Les bras peuvent poser des problèmes, à cause de l'extrême (et méconnue) complexité due à la torsion des muscles et à la loi des masses opposées. Beaucoup de "dessinateurs" s'en foutent: un bras est un bras. Ils ne s'aperçoivent même pas qu'ils esquissent des pantins de bois, des musclor statiques. Mais sous la peau, il y a de la chair, du muscle et de la graisse, du sang qui pulse, des organes qui agissent, ça grouille sous la peau de l'homme, comme ça grouille sur la terre, et rien n'est immobile en surface.

Les modèles photographiques ou les films restent utiles, cependant, pour l'inspiration des poses, et je ressens de plus en plus souvent l'envie d'aborder le monde de la danse avec mes crayons. J'admire la façon dont on peut discourir avec le corps.
Chercher le secret de notre structure physique, c'est déjà approcher la vérité, celle dont on ne dit pas le nom en vain.


Frédéric MATHIAS

Publié dans Sketchbook

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C
et maintenant la même habillée qu'est-ce que ça donne?
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