De vraies gueules

Publié le par Frédéric MATHIAS




On attribue à Gabin, je crois, la phrase suivante: "Un bon film, c'est une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire". C'est profondément vrai, mais il convient après cela de préciser ce qu'est une bonne histoire. Ce n'est pas dans cet article que je me risquerai à vous déballer le fruit de mes études de lettres, pas plus que celui de mes réflexions plus personnelle sur le sujet: on ne peut tenter d'expliquer cela que sur de longues pages, et j'y viendrai. Je veux simplement dire aujourd'hui quelle importance joue le caractère d'un personnage dans un récit: si un actant est bien peint, sa personnalité et sa propre histoire vont avoir assez de force pour dessiner le récit, plutôt que le contraire. En d'autres termes, le fil d'une histoire n'est pas seulement déterminé par une suite d'évènements, mais également par les décisions émanant du caractère profond d'un personnage. Or nous pouvons supposer, il est vrai de façon un peu arbitraire tant qu'on n'aura pas prouvé l'existence ou l'inexistence de Dieu -c'est-à-dire jamais, que c'est la même chose dans la grande histoire, celle que nous vivons jour après jour. Sans doute se dessine-t-elle d'une part sans notre concours, et d'autre part avec, l'ensemble se mêlant assez confusément.

Victor Hugo a-t-il imposé à Jean Valjean les péripéties des Misérables, ou bien le caractère donné au personnage a-t-il créé ces mêmes péripéties? Ne vous enfumez pas le crâne, je n'ai pas la réponse et ce genre de détails ne peut finalement intéresser que les écrivains ou les cinéastes. Les historiens aussi, peut-être.

J'en viens donc au point central de mon propos: qu'est-ce qu'un bon personnage? De ce côté, J'AI une réponse qui tient la route. Un bon personnage est un personnage à relief, le contraire même de la propreté, physique ou morale selon vos désirs. Vous ne convaincrez jamais le spectateur ou le lecteur avec des personnages lisses. Comme vous le savez peut-être, le moyen-âge fut une période au cours de laquelle, en particulier dans la littérature, on assimilait assez systématiquement l'apparence physique d'un homme à sa nature profonde.
Par exemple, les nains étaient nécessairement de commerce avec le diable, parce que l'anomalie apparente ne pouvait qu'être la conséquence d'une déviance morale.

A notre époque, il importe de prendre le recul nécessaire et responsable par rapport à ce genre de croyance, et de bien les replacer dans leur contexte, vous comprenez pourquoi. Ne croyez pas d'ailleurs que le danger soit inexistant parce que cantonné à l'époque médiévale. Précisément il ne l'est pas: les nazis étaient de grands admirateurs de la littérature arthurienne, qui vantait le héros des forêts au cheveux blonds, et faisait peser sur le juif tous les maux de la terre.

J'ai tenu à faire cette précision car je vais en prendre un peu le contrepied au sujet des personnages de fiction: oui, un bon méchant est souvent moche, et un bon gentil a souvent une bonne tête! Pourquoi? Parce que cela permet d'offrir des repères durables à un lecteur ou un spectateur. J'en reviens à Hugo: Cosette et Fantine ne sont-elles pas d'une beauté reflétant l'innocence de leur âme? Les Thénardhier, elle mastodonte terrible, hommasse incroyable, et lui, petit rat tenant son monde comme un dieu improvisé, voilà des méchants que leur physique trahit de longues pages à l'avance! Est-ce bien réaliste? Non. Et pour rester avec le père Victor, il a tenu à le préciser en faisant du monstre absolu, Quasimodo (le "presque normal"), le bon que l'on sait.

Il faut jouer avec le physique des héros et des anti-héros: en tant que dessinateur, il s'agit de mon arme principale. Les visages, je les creuse, les pétri, les taille, les tourne en tous sens jusqu'à ce qu'en sorte non plus un faciès, mais une vraie personnalité. Cela manque plus aux japonais et aux américains qu'aux artistes européens. J'adore Tsukasa Hojo, mais il faut bien reconnaître que de Cat's Eyes à Family Compo, en passant par l'indispensable City Hunter, ses héros ont tous les mêmes gueules. Toriyama ne tombe pas aussi évidemment dans le piège. Il est vrai aussi, restons objectifs, que depuis l'estampe les nippons ne font pas passer les sentiments par le visage comme nous le faisons. En Europe, jusqu'au 19ème siècle, on a même cantonné la notion de beauté et de personnalité au visage. Combien de portraits médiévaux avant qu'on s'intéresse au reste du corps? Sans aller jusqu'à Courbet et son pubis féminin, on peut au moins citer Zola, qui dans Nana à rompu les codes pour forcer le lecteur à diriger le regard vers les cuisses de l'héroïne. Une révolution.

Ce détail mis à part, les gueules sont restées une grande spécialité, notamment française. Pensez au cinéma! Entre Lino Ventura, De Funès, Belmondo, Delon, Bardot, Signoret, Simon, quelle galerie! Ne dit-on pas d'ailleurs, pardon pour les dames que je viens de citer, "monstres" sacrés? Le cinéaste qui sait le mieux filmer les gueules aujourd'hui, c'est Jean-Pierre Jeunet à mon goût. Du côté des acteurs, Vincent Cassel, Daniel Auteuil, Christian Clavier, et beaucoup d'autres, voilà des visages passionnants, source d'inspiration pour le moindre crayon!


Frédéric MATHIAS

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C
rien à dire, c'est beau!!
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